l'autonomie de l'enfant

http://www.er.uqam.ca/nobel/m306154/coursn.htm


Parents et professionnels de la petite enfance souhaitent voir les enfants devenir autonomes, mais le chemin par lequel ils pourront y parvenir n’est pas toujours clair pour eux.
2En effet, les découvertes de ces dernières décennies mettant en évidence des capacités jusque-là insoupçonnées des bébés et jeunes enfants n’ont encore que peu transformé la pédagogie du développement et n’ont pas accru la confiance dans leurs potentialités.
3L’intérêt de l’activité autonome initiée par le bébé lui-même reste ignoré ou tenu pour négligeable. Le bébé est considéré comme un être à qui, pour son bon développement, il faut enseigner ou du moins faire exercer ses capacités. L’adulte « fait faire » au bébé quelque chose qu’il ne sait pas encore faire par lui-même, lui montre comment le faire, l’incite à imiter les gestes ou agit à sa place.
4L’évolution des attitudes vis-à-vis des jeunes enfants a plutôt été dans le sens d’une précocité des apprentissages. On stimule précocement, et même on surstimule au niveau psychomoteur, sensoriel, intellectuel, gestuel et verbal. Il est proposé aux parents et aux éducateurs des programmes d’apprentissages précoces ou des méthodes pour éveiller ou stimuler le goût de l’activité, et accélérer certaines acquisitions.
5Peu d’importance est accordée non seulement à l’activité autonome des nourrissons et des jeunes enfants, mais aussi aux conditions de l’environnement qui la favorisent et lui permettent de s’épanouir. Or certaines dérives éducatives pourraient être évitées si les découvertes concernant la capacité d’apprentissage précoce des nourrissons renforçaient la confiance de l’adulte envers leur capacité de développement et envers la valeur de leur activité autonome.
6Il est important de comprendre que l’autonomie commence dès la naissance mais prend une forme particulière à chacun des stades de développement. Pour nous, les premières expériences de l’autonomie existent dès l’âge de nouveau-né dans toute activité initiée par l’enfant lui-même sans l’intervention directe des adultes et orientée par le plaisir et l’envie d’agir.
Comme nous le verrons, cette activité « autonome » initiée par l’enfant lui-même est source pour lui de multiples apprentissages dans les domaines psychomoteur, affectif et cognitif. C’est cet ensemble d’apprentissages autonomes qui, lorsqu’ils sont respectés, constituent les fondements de l’autonomie adulte.

PENDANT LES TEMPS DE JEUX, L’ENFANT SAIT AGIR PAR LUI-MÊME

7Le potentiel inné de l’enfant comporte une tendance à la croissance et au développement. Les enfants sont poussés par une force intérieure, un désir d’expérimentation de leur corps et des objets environnants.
8Une relation « suffisamment bonne » et les soins de bonne qualité qui en résultent, favorisent cette tendance innée de l’enfant à connaître et habiter son corps, à tirer des enseignements de l’exercice de ses fonctions corporelles et à accepter les limites de sa peau qui sépare le « moi » et le « non-moi ». Dans ce processus, on observe une progression permanente et une succession d’étapes communes à tous les enfants mais dont le rythme est propre à chaque enfant.
9L’activité autonome du bébé mobilise ces potentialités spécifiques qui ne peuvent être remplacées par rien d’autre. Le bébé est ainsi capable d’agir de façon adéquate pour maîtriser ses mouvements, acquérir des connaissances sur lui-même, sur ses capacités corporelles et sur le monde matériel qui l’entoure.
10Pour développer son autonomie, il a besoin d’expérimenter ses compétences par cette activité autonome. Nous considérons comme essentiel dans l’éducation de tous les enfants non pas d’éveiller et de développer le goût à l’activité autonome mais :
  • de maintenir et soutenir ce goût inné et naturel ;
  • de le protéger pour qu’il ne soit pas inhibé ;
  • de lui fournir les conditions qui favorisent son développement.
C’est à travers cette activité que l’enfant peut accumuler les expériences favorisant la construction des bases de son sentiment d’efficacité et de son développement intellectuel ; et le développement de sa capacité à être un adulte créatif et responsable.
11Être actif de façon autonome dès le plus jeune âge a donc de l’importance aussi bien pour le présent que pour l’avenir. De plus, c’est source de plaisir et de satisfaction.
12C’est pourquoi il est nécessaire pour tous les enfants, élevés en famille ou en collectivité, de vivre dès le plus jeune âge dans des conditions qui leur permettent de découvrir le plaisir que peut leur apporter leur propre activité spontanée et de l’accroître par les résultats obtenus.
13À toutes les activités corporelles est associé un besoin de les exercer et de les développer, même si ce besoin ne commence à se manifester qu’à un certain stade de maturation physique et psychique de l’enfant.
14Chaque nouvelle acquisition procède de la précédente, n’émerge que lorsque la précédente est bien achevée et forme une base solide pour les acquisitions futures, car elle procure à l’enfant une réelle maîtrise du geste et une sécurité dans l’exécution.
Quand on observe un bébé en bon état psychique, avec un espace suffisant et des jouets adéquats, on perçoit dans ses exercices un vif intérêt, une attention concentrée, une ténacité et une intrépidité sereines souvent moins nettement observées chez des enfants plus âgés. Il devient, sous nos yeux, de plus en plus expérimenté dans ce qu’il entreprend.

ACTIVITÉS DE MANIPULATION ET DE JEUX

15L’activité du bébé s’organise en fonction de sa capacité d’attention, de son niveau d’intérêt, de son équilibre affectif et de son humeur du moment.
16Mais l’exploration, l’exercice et le développement de ses capacités corporelles ne sont pas indépendants des apports du milieu et cheminent parallèlement et en interdépendance avec le processus de sa découverte du monde environnant, et la découverte et la maîtrise progressive de ses processus d’apprentissage.
17Les jeux manuels de l’enfant deviennent de plus en plus variés et complexes au cours du développement. Il explore sur tous les modes possibles les objets qui l’entourent. Il acquiert des renseignements sur leurs différentes caractéristiques, taille, poids, couleur, surface, souplesse ou rigidité, etc. Avec eux, il vit des expériences sensorielles variées et apprend ce qu’il peut faire avec ces objets, s’ils sont loin ou proches de lui, s’il faut faire des efforts, s’étirer, se déplacer pour les toucher, pour les lever, pousser, jeter, etc. Il est attentif en même temps à ses propres gestes, aux mouvements de son corps, aux objets qui l’entourent et aux effets de ses propres actions.
18Si personne n’impose à l’enfant avec quel objet et comment il doit jouer, et n’attire ou ne détourne son attention, il peut s’occuper d’un objet aussi longtemps qu’il l’intéresse et aux moments où il peut réellement lui accorder son attention.
19Au cours de ces activités, il utilise ses possibilités spécifiques d’apprentissage.
20La répétition de l’acte lui donne la possibilité de se rendre compte de ses effets et de les mémoriser. Ceci lui permettra de rechercher ces mêmes effets à une autre occasion.
21En expérimentant les conséquences de ses propres mouvements, grâce à l’influence du feedback favorable ou correctif, son comportement spontané devient un acte conscient et volontaire. Si, par exemple, un geste ou un mouvement fortuit produit un effet nouveau, il ne sait pas forcément comment il y est arrivé et il n’essaiera peut-être pas de le retrouver tout de suite mais à un moment donné (le même jour, le lendemain, la semaine suivante), il fera des tentatives jusqu’à ce qu’il sache faire le geste ou le mouvement qui déclenche cet effet.
22Au cours de l’exploration de son environnement, l’enfant se pose des questions et essaie de trouver de lui-même les réponses. Cette attitude de questionnement et son désir d’expérimentation imprègnent ses actes. Cette attitude apprend à l’enfant à se donner des tâches accessibles. Dans cette situation, sans l’influence d’autrui, les tentatives infructueuses ne suscitent pas un sentiment d’échec.
23Pendant son action, l’enfant a aussi la possibilité de modifier son projet, de se poser des questions nouvelles apparues comme conséquence de son acte. Il peut aussi arrêter et recommencer plus tard ses tentatives. L’acceptation d’un échec momentané et la modification en souplesse d’un plan d’action font aussi partie de l’apprentissage.
24En apprenant à être attentif aux effets de ses actes, l’enfant perfectionne ses compétences. Il apprend à apprendre. L’activation de ces processus d’apprentissage est plus importante en soi que les acquisitions proprement dites.
25Ces activités motrices et manuelles sont la source de toute une activité mentale qui se développe au même rythme que le développement sensori-moteur. Elles donnent lieu à des « opérations mentales », précédées et suivies d’expérimentation, mettant en œuvre déduction, anticipation, mémorisation, établissement de liens entre les objets, entre soi et les objets, entre les objets et les personnes, etc. Le bébé ne fait pas tout cela avec des mots et une pensée d’adulte mais il le vit et le construit à travers son corps. L’activité motrice est productrice de l’activité mentale dont elle est le support, et l’activité mentale alimente et stimule l’activité motrice.
26L’activité spontanée du bébé est rythmée par des temps d’arrêts ou de repos périodiques. Après un temps plus ou moins long de repos, il reprend la même activité ou une autre. Sa capacité d’autorégulation lui permet de décider lui-même des moments d’activité et des moments de récupération.
27De plus, au cours de cette activité sensori-motrice, l’enfant découvre, apprend, revient à des acquisitions antérieures qu’il perfectionne, ce qui lui apporte l’expérience d’une certaine continuité. Ceci contribue à son sentiment d’efficacité, sa sécurité de base, la force de son moi.
28L’activité autonome permet que l’enfant participe, à chaque instant avec la globalité de son corps, à tout ce qu’il entreprend, et qu’il sente son corps. Il est toujours à l’écoute de son corps, vit en dialogue et en harmonie avec lui, et avec ses signaux. Il connaît, comprend et accepte les limites de ses capacités corporelles. Il ne se met donc pas en situation d’échec, et par conséquent n’éprouve pas de sentiment d’insuffisance.
Ce vécu l’aide à découvrir le plaisir de sentir son corps, le plaisir de se mouvoir, d’expérimenter ses propres capacités et le monde environnant. Au cours des années, il connaît et accepte son corps de mieux en mieux. Être bien dans son corps, le connaître, savoir se tenir, se détendre, agir sans tension, avoir une motricité harmonieuse et économique aident à supporter les difficultés et à trouver un équilibre affectif et émotionnel. Si l’adulte lui en assure les conditions favorables, le jeune enfant, simultanément à son développement, peut y arriver par lui-même et vivre en harmonie avec son corps.
29Nous pouvons aussi constater que si l’adulte considère l’activité indépendante du bébé dès le plus jeune âge comme une valeur importante pour le présent et l’avenir de l’enfant, cela modifie aussi sa vision de son propre rôle de parent ou d’éducateur. Le parent ne pense plus qu’il faudrait qu’il soit toujours dans la proximité immédiate de l’enfant et s’occupe sans cesse de lui, le stimule, l’enseigne. Bien que les temps passés avec l’adulte soient précieux pour l’enfant et à la source de son goût d’activité, les temps d’activité libre et autonome ne le sont pas moins :
  • L’enfant, absorbé par l’expérimentation de ses capacités corporelles et manuelles et par l’exploration des objets mis à sa portée, n’a pas besoin de la présence proche, permanente, de la participation ou de l’aide continuelles de l’adulte puisque sans lui il ne se sent pas impuissant.
  • Le parent peut donc consacrer du temps à ses autres obligations et intérêts personnels sans éprouver de culpabilité, sans se sentir l’esclave de son enfant ou le considérer comme son jouet. Il peut respecter l’espace personnel de l’enfant, tout en préservant le sien, en prenant plaisir à contempler l’activité, l’attention concentrée et les progrès de son enfant.
Cela contribue à la construction d’une relation parent-enfant équilibrée…Pickler.

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