JEUX LIBRES

Se représenter le monde en jouant librement




Qui ne s’est jamais senti pressé que son bébé évolue et commence à faire des exploits (se tenir assis, se mettre debout, marcher, compter, etc.) ? Qui n’a jamais comparé son bébé à un autre en se demandant s’il n’avait pas un peu de retard dans son développement ?
Nous avons envie du meilleur pour notre enfant, alors nous pensons qu’il est notre devoir de le stimuler et de démultiplier les sources d’éveil.
La semaine dernière je suis justement allée écouter Olivier Gilly, de l’association Pikler Loczy*, sur « les bienfaits d’un jeu libre et autonome pour les jeunes enfants (0-3 ans) ». Ca permet de remettre quelques idées en place !
Pour lui, il n’y avait qu’à regarder en décembre les gigantesques rayons de jeux proposés pour les plus petits pour se rendre compte à quel point les parents subissent une pression forte qui les poussent à « stimuler » leur enfant et avoir las sensation de proposer ce qu’il y a de mieux pour lui..
Et il existe une escalade en la matière : de plus en plus de jeux automatisés, complexes sont proposés comme indispensables. Et cela au dépend des véritables besoins d’éveil des tous petits qui sont souvent plus « basiques » que ce que certains marchands de jouets veulent bien nous faire croire.
Pour se développer de manière harmonieuse, le bébé a besoin de temps où il joue de manière autonome. C’est ce qu’on appellera ici le jeu libre.

Le piège de l’éveil et de la stimulation de nos tous petits

Pourquoi le jeu libre est-il si important ? Pourquoi une intervention de l’adulte n’est-elle pas importante pour stimuler l’éveil de son enfant ?
Pour que le jeu soit une source d’éveil pour le jeune enfant, il est important qu’il soit en mesure de comprendre ce qu’il est en train de faire et d’en saisir les résultats. Plus le jeu est complexe, plus il y a de risques que le bébé soit perdu et qu’il ne garde pas trace de ce qu’il entreprend. Il y a donc un grand paradoxe : plus l’adulte veut aider et stimuler son enfant, plus il risque de gêner son apprentissage.
Ce qui est difficile pour nous c’est donc de réfréner notre envie d’aller très vite vers des apprentissages qui nous paraissent intéressants parce qu’ils ont de la valeur pour notre monde d’adulte (marcher, lancer/viser, etc). La plupart du temps nous nous retrouvons alors en décalage avec les besoins réels de nos enfants (ce qui les animent).

Le jeu : des touts petits riens qui font de grands apprentissages

En fait, la plupart du temps, si on observe bien notre enfant on peut se rendre compte à quel point des petites choses ont beaucoup de valeur pour lui, par rapport à là où il en est de sa compréhension du monde :
  • un bébé de 3 mois allongé sur le dos et qui bascule en appuyant sur son coude découvre qu’il a une prise sur le monde et qu’il peut guider un mouvement (apprentissage de son enveloppe corporelle),
  • un bébé de 8 mois qui expérimente la manière dont il peut faire disparaître une balle en la mettant dans une bassine fait l’expérience de la permanence de l’objet,
  • un bébé de 10 mois qui empile et encastre des boîtes découvre la question des volumes,
  • un bébé de 9 mois qui s’allonge sur un toboggan fait l’expérience d’une toute nouvelle dimension pour lui : l’oblique !
En prenant le temps d’observer, nous pouvons assez facilement identifier ces petites choses.  Souvent, si on les laisse faire, nos bébés entreprennent ces activités de manière très organisée et font preuve d’une grande concentration que l’on peut repérer facilement. Je me rappelle comment mes enfants testaient avec grand sérieux plusieurs variantes et étaient absorbés par l’analyse des résultats de leurs expériences. Les bébés sont de vrais petits scientifiques !
Jusqu’à un âge assez avancé, on peut même dire que la totalité des moments de « jeu » sont des moments d’expérimentation pour nos enfants, où ils construisent, puis affinent leur perception du monde. 
N’allons donc pas trop vite et laissons les faire. C’est le plus sûr moyen pour qu’ils s’éveillent au monde.
Pour les plus sceptiques face à cette idée d’autonomie dans le jeu, il existe de plus en plus d’écrits et d’études qui démontrent que c’est une des clés pour que l’enfant se dote de bases solides qui l’aideront plus tard dans ses apprentissages plus scolaires. Rien que leur capacité de concentration qu’ils développent tout petit en jouant seul est un acquis considérable pour leur future vie d’élève.

Plus que des principes éducatifs à appliquer, c’est un regard différent sur le jeu qu’il s’agit d’adopter

J’entends d’ici quelques uns d’entre vous se dire « encore un truc auquel il faut penser », « encore une de ces pédagogies nouvelles qui mettent la pression sur nous les parents! ». Je vous rassure tout de suite, cette pédagogie n’est pas un cadre avec des règles précises et contraignantes. C’est une approche, à chacun d’en faire ce qui lui convient pour lui et son enfant. C’est vous qui savez le mieux où en est votre enfant, ce qu’il aime ou n’aime pas faire.
Cette pédagogie a juste la vertu de rappeler que vous avez le droit (et le devoir?) de ne pas courir derrière votre enfant avec des jeux sophistiqués pour être sûr qu’il n’aura pas de retard dans son éveil et son développement. Vous avec le droit (et le devoir?) de le poser par terre et de laisser faire au gré de ses idées. Car suivre son idée est un chemin très riche en découvertes et apprentissages pour votre enfant….. et garant de liberté pour vous  : ouf ! leur éveil ne dépend pas uniquement de vous !
J’entends cette fois-ci d’autres parmi vous se dire « alors l’adulte ne sert à rien? », « encore un truc pour fabriquer des enfants rois ! ». Là aussi je vous arrête tout de suite ! Laissez jouer son enfant ne veut pas dire le laisser faire n’importe quoi et vous désinteresser de son espace de jeu. Vous êtes le parent, vous avez des limites à poser et de l’amour à donner ! Votre enfant jouera d’autant mieux et ses apprentissages seront d’autant plus riches et précis qu’il se sentira en sécurité. C’est à dire placé dans un environnement où les dangers auront été écartés et sûr de l’affection qu’on lui porte (mais ça c’est une autre histoire qui fera l’objet d’un autre article). Vous avez aussi un rôle dans les choix des objets que vous mettrez à disposition de votre enfant.
En un mot, c’est vous qui rendez possible ce jeu autonome !

Et en pratique, qu’est ce que ça donne ?

Cela étant dit, voici en résumé, les idées-forces à méditer et à adapter pour vous, si vous souhaitez approfondir avec votre enfant les occasions d’activités autonomes…
  • le jeu libre, n’a de sens que si par ailleurs, le bébé est en relation avec le monde et les adultes qui l’entoure. Préserver des moments d’autonomie dans le jeu pour notre enfant ne veut pas dire qu’à d’autres moments on ne peut pas jouer et rire avec lui. Cela veut juste dire que de temps en temps, dans la journée les moments où l’enfant découvre par lui même sont aussi importants que les moments de soin, de câlins et d’échanges avec les parents.
  • le jeu libre est uniquement possible si l’enfant est placé dans un environnement sécurisé, sans danger pour lui. Il n’est pas question de le laisser faire n’importe quoi  !
  • le jeu libre s’appuie sur des jeux simples, souvent ceux qui n’ont qu’une seule fonction. Des objets simples et adaptés aux capacités moteur de votre enfant sont souvent très riches d’expérience pour lui (exemple entre 5 et 12 mois : des boites, des caisses, des bassines, des balles de toutes tailles, des foulards, etc).
  • le jeu libre est possible lorsque les objets proposés aux enfants sont variés et à sa disposition (placés à des endroits accessibles pour lui). La stimulation est conditionnée par la rencontre entre un objet et la volonté de l’enfant à un instant t. Le matin votre enfant pourra avoir envie de tester sa force et l’après midi de tester les sons alors qu’hier il était passionné par les encastrements et la taille des objets! Attention à lui mettre à disposition plusieurs propositions et les mêmes sur plusieurs jours, pour qu’il puisse suivre ou répéter son envie et son idée de jeu.
  • le jeu libre dépend de la capacité de l’adulte à ne pas intervenir. Souvent quand on intervient on coupe l’expérience car nous ne comprenons pas toujours ce qui est en jeu dans la tête de notre enfant. On le voit jouer sur sa cuisinière en pensant qu’il joue à cuisiner, alors qu’en fait il est en train de tester sa force en déplaçant les objets… Il faut veiller à ne pas le dessaisir du jeu qu’il est en train d’élaborer. C’est important qu’il reste acteur de son jeu.
  • le jeu libre reste une occasion d’échange avec son enfant. Sans intervenir trop vite ou trop souvent (voir ci-dessus), on peut tout à fait avoir envie de mettre en mots ce que l’enfant est en train d’expérimenter (en décrivant ce l’on voit). Cela renforce son sentiment de compétence et constitue une occasion intéressante de voir que ce qu’il fait compte pour nous.
Et surtout  : amusez-vous à l’observer !

Anne

Naissanciel – Accompagnement à domicile des futurs et jeunes parents








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Baptiste Fiche, psychologue dans le Morbihan, animera, vendredi, à Vannes, la conférence organisée par Les mots des familles.
Baptiste Fiche, psychologue dans le Morbihan, animera, vendredi, à Vannes, la conférence organisée par Les mots des familles.

Par le jeu, l'enfant expérimente le monde qu'il met à sa portée. Il explore ce qu'il n'a pas compris et traduit ses inquiétudes. « Dites-moi à quoi il joue, je vous dirai comment il va ». En s'appuyant sur le livre de Sophie Marinopoulos, Baptiste Fiche, psychologue, donne aux parents les clés du jeu. 



Qu'est-ce que l'enfant développe par le jeu ?
C'est son moyen de réussir à comprendre ce qui l'entoure, en se mettant à distance. Le jeu est le travail de l'enfant. Le petit joue dès sa vie intra-utérine. Il se construit par le jeu, son développement en dépend. Cela va déterminer son rapport au monde et sa façon d'acquérir des connaissances.

Y a-t-il des jouets indispensables ? 
Ce n'est pas l'objet matériel qui compte mais le rapport à l'objet. Imaginer une histoire, c'est déjà jouer. Le jeu, c'est sérieux. Même des choses qui peuvent paraître insignifiantes à un adulte, répondent à une question du petit. Il faut des temps de jeu libre qui ne soient pas toujours structurés.

Pourquoi certains enfants jouent bien seuls, alors que d'autres sollicitent systématiquement l'adulte ? 
Peut-être est-ce cela son jeu ! Il tente de faire du parent son jouet. Il faut alors lui expliquer que le parent n'est pas à sa disposition. Il faut qu'il comprenne qu'on ne peut pas tout avoir dans l'immédiat ; ce qui est un peu le problème de notre société. Peut-être que cela va le mettre en colère, mais il doit faire l'apprentissage de la frustration même si, pour certains, parfois jusqu'à l'âge adulte, c'est difficile à accepter. Il est dans le maintenant tout de suite, sans discontinuité, sans rupture. Or il doit pouvoir accepter que son projet de jeu puisse être différé, qu'il y a des limites et qu'il est parfois nécessaire d'anticiper. Cela implique que l'adulte sache dire « non », ce qui est difficile pour ceux qui ont peur que leur enfant ne les aime plus s'ils ne répondent pas à leurs attentes. Or, justement, l'enfant attend qu'on lui montre les limites.
Est-ce cependant important que les parents jouent avec leurs enfants ?
Il n'y a aucune obligation. En tout cas, c'est important de l'accepter uniquement quand on est disponible. Mieux vaut ne pas le faire que de le faire contraint. Quand le parent joue avec son enfant, il le met en situation de partage. Jouer avec lui, c'est aussi travailler son sentiment de sécurité en l'accompagnant plus loin dans l'exploration.

L'enfant passe-t-il par différentes phases de jeu au cours de son développement ?
Il va d'abord apprendre à explorer son corps. Ensuite, vers 8-9 ans, il va explorer les autres ; c'est un âge où il joue plus en groupe et où il cherche à se mesurer à travers la compétition. Plus grand, il va explorer son environnement.

Quels comportements ludiques peuvent traduire un souci de l'enfant ? 
Un jeu sans limite qui montrerait qu'il est bloqué sur quelque chose ; car un jeu doit avoir un début et une fin. Sans intervenir, le parent doit alors écouter ce qu'il dit et l'observer. L'enfant met au travail ce qui l'inquiète et ce qu'il ne comprend pas.

La notion de limite se pose beaucoup pour les jeux vidéo. 
Déjà, c'est aux parents de se mettre des limites à eux-mêmes pour être crédibles quand ils vont dire à leur enfant qu'il doit quitter l'écran. Le jeu vidéo n'est pas néfaste en lui-même, il permet de développer certaines compétences. Mais il devient mauvais quand l'enfant s'enferme dedans et ne fait plus autre chose : ça ne lui apporte plus rien et bloque d'autres acquis.

« Dites-moi à quoi il joue, je vous dirai comment il va », conférence de Baptiste Fiche, organisée par l'association Les mots des familles, vendredi, à 20 h, à Vannes, maison des associations. Tarif : 5 €. Renseignement : tél. 06.52.56.04.50.

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