activités de manipulation manuelles Pikler


RÉFLEXIONS À PROPOS DES ACTIVITÉS DE MANIPULATION

4Les activités manuelles des enfants sont pour eux une source inépuisable d’intérêt. Ces activités sont caractérisées par l’intérêt du bébé pour établir un lien avec les objets à l’aide de la main.

Quelques résultats de recherche

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  •  Entre 3 et 12 mois, on a pu répertorier plus de cent sortes de mouvements exécutés par les mains.
  •  Les écarts d’âge d’acquisition de ces mouvements par les enfants sont dans une certaine mesure moindres que dans le cas des grands mouvements. Alors qu’on ne peut pas deviner, avec certitude, l’âge d’un enfant à partir de l’observation de ses grands mouvements, il est plus aisé de le faire, avec quelque chance de succès, à partir de celle de jeux manuels.
  •  L’ordre d’acquisition des différentes formes de manipulations est semblable pour tous les enfants. On observe l’apparition progressive d’une activité, puis une période de présence maximale qui diminue ensuite sans disparaître tout à fait, tandis qu’en apparaît une autre. Le tableau ci-après indique les mois pendant lesquels certaines formes de manipulation sont devenues usuelles et les mois pendant lesquels la fréquence est maximale.
  •  L’évolution des formes de l’activité manuelle indique comment ces acquis transforment l’intérêt du bébé pour l’objet et sa relation à l’objet.
Au cours du deuxième trimestre de sa vie, c’est surtout en tenant un objet, et un seul, que l’enfant le manipule : il le regarde, le tourne, le bouge, le palpe, le porte à sa bouche, l’éloigne, s’y agrippe. S’approprier l’objet, le garder en main, en le tournant sous toutes ses facettes, semble être la principale source d’intérêt et provoquer fréquemment un état de jubilation.

Vers la fin de la première année, on peut saisir l’amorce d’une nouvelle organisation des activités manuelles, qui va beaucoup se développer au cours des mois suivants. Cette organisation est caractérisée essentiellement par deux éléments nouveaux :
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  •  d’une part l’intérêt de l’enfant se porte sur un objet « non tenu » dans la main, non plus pour le prendre et le tenir, mais pour entrer en interaction avec lui sur une variété de modes subtils, délicats, en lui imprimant des mouvements, en l’éloignant légèrement d’une caresse du dos des doigts, en le faisant pivoter, en s’intéressant au mouvement de l’objet, en cherchant à le reproduire (cf. tableau, ligne 13) ;
  •  d’autre part, l’intérêt du bébé se porte sur deux objets à la fois et sur la mise en relation de ces deux objets l’un avec l’autre. Par exemple (cf. tableau, lignes 11 et 15), le bébé tape un objet tenu dans la main contre un objet à distance, il met un objet dans un autre, commence à expérimenter de le secouer, le renverser, le remettre, recommençant encore et encore.
Il existe un nombre considérable de variantes de ce jeu....  





L’analyse de contenu des activités des bébés entre 6 et 12 mois

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Elle montre que cette organisation constatée à 12 mois est préparée et accompagnée par de nombreuses activités intermédiaires qui se développent à partir du 7e ou 8e mois et dont l’éventail s’élargit progressivement jusqu’à la fin de la 2e année. Par exemple, le bébé s’intéresse encore exclusivement à « l’objet tenu », mais il joue à l’éloigner et à le frotter contre le sol ; ou encore l’enfant joue à passer l’objet d’une main à l’autre en le suivant du regard : c’est un premier pas dans le risque de lâcher ce qu’il tient ; l’enfant se passionne pour ce jeu et le répète inlassablement. Dans le même temps, lâcher et reprendre devient un jeu intentionnel répété de plus en plus souvent. De même, s’assure alors la capacité à s’intéresser à deux objets à la fois et à les faire entrer en relation l’un avec l’autre, par exemple lorsque le bébé s’amuse à taper l’un contre l’autre deux objets tenus dans chaque main.910111Nous pensons qu’une étude comparative entre la relation du bébé à l’objet et sa relation à la nurse s’impose, car elle sera de nature à apporter des connaissances plus précises sur le rapport qui existe, à cet âge préverbal, entre l’activité manuelle et la vie émotionnelle relationnelle, sur la façon dont elles s’utilisent et se relancent l’une l’autre dans l’élaboration de la vie mentale du bébé.

La grande attention que le bébé déploie dans l’activité manuelle, les émotions que cela suscite en lui, son air préoccupé quand il perd l’objet, rassuré et heureux quand il le retrouve, sa grande concentration, etc., tout cela témoigne non seulement de l’intensité de la relation du bébé à l’objet, de l’importance de son investissement, mais aussi de toute une évolution et enrichissement de cette relation.
De plus, l’expression attentive du bébé pendant ces jeux atteste que cette relation à l’objet suscite des pensées, que celles-ci prennent racine en quelque sorte dans l’infinie variété des subtilités du jeu manuel et vont s’inscrire dans la psyché ; en même temps, ce jeu manuel est également le mode d’expression et le terrain d’expérimentation pour le vécu émotionnel de l’enfant, avec une constante relance de l’un par l’autre, au cours duquel s’élaborent les systèmes de représentation.
À nos yeux, toute cette activité manuelle a fonction d’un « langage préverbal » adapté au « mode de penser corporel » de l’enfant de cet âge, et il nous semble que la connaissance précise de ce langage, apportée par les observations systématiques des enfants élevés à Lóczy, est une contribution appréciable au décodage des représentations mentales du jeune enfant, de sa façon de les constituer et de les maîtriser.
Un dernier point mérite d’être mentionné : de même que chez l’enfant plus âgé, la disparition du langage est une réaction à la perte lorsqu’il se trouve séparé de sa mère, on constate que la qualité et la quantité de jeu manuel diminuent de façon notable lorsque l’enfant est exposé à des changements de vie qui le touchent. À cet égard, les activités manuelles sont plus sensibles que les activités posturales. Les plus atteintes sont celles qui ont été récemment acquises, à l’exception de lâcher et prendre qui, au lieu de diminuer, montrent un accroissement tout à fait important. On peut penser que l’enfant bouleversé, en lâchant le jouet, reproduit la perte, et qu’il revit et cherche à maîtriser les affects dépressifs à travers ces jeux et exercices de perte et retrouvailles.

CONCLUSION

13On peut considérer les résultats de ces études sous l’angle de l’enrichissement des connaissances qu’elles apportent et sous celui des applications pratiques, notamment en matière de prévention.
  •  Les travaux sur les activités manuelles ont permis d’ores et déjà d’établir un inventaire détaillé, précis des activités des bébés au cours des deux premières années de la vie. Toutes ces données constituent une sorte « d’anatomie » de l’activité spontanée des bébés, mettant en valeur sa richesse, ses variétés et variations, la succession des acquisitions, leurs moments d’apparition, de fréquence maximum et d’extinction.
  •  La pleine exploitation de la situation d’activité spontanée libre permet de mieux connaître les capacités étonnantes du bébé à faire par lui-même, son plaisir à le faire, l’intérêt qu’il y porte, l’ardeur qu’il déploie pour parvenir à son but et en obtenir la maîtrise. Dans ces conditions on voit l’enfant partager spontanément son temps de veille de façon variée entre les activités locomotrices, les changements de postures, les activités manuelles ; ces activités sont interrompues par des pauses ou des changements d’activités, au service d’une détente et de temps de repos qui permettent à l’intérêt de se poursuivre et à l’activité de reprendre jusqu’au moment où, fatigué, il s’abandonne au sommeil. L’enfant a la capacité de réguler lui-même son activité libre ; il ne faut donc pas le « stimuler » mais seulement lui permettre de l’exercer.
  •  Le bébé laissé libre d’agir se saisit des nouvelles possibilités apportées quotidiennement par la maturation de son système sensori-moteur, il les découvre à petits pas, s’exerce à les maîtriser et, ce faisant, se prépare au prochain pas, devenant de cette façon agent actif de la continuité de son développement et d’une bonne intégration des acquis. On découvre, à cet égard, l’intérêt qu’il y a à respecter les différences individuelles de rythme de développement, sans les entraver ni vouloir les hâter. L’important est que chaque acquisition puisse s’exercer longuement pour s’établir avec fermeté et sécurité avant de faire le pas suivant. L’indicateur du bon développement de l’enfant est moins la précocité d’une acquisition que la sécurité avec laquelle l’enfant peut l’exercer et l’éprouver, ainsi que la richesse et l’harmonie d’exécution.
Ces constatations ont de nombreuses incidences sur notre pratique. Alors qu’on insiste à juste titre sur l’intérêt des programmes visant à favoriser le développement harmonieux des relations entre le bébé et ses parents, il paraît intéressant d’attirer l’attention sur la création simultanée d’un espace adéquat physique et psychique de jeux libres, pour le bébé. Il ne s’agit pas seulement de distraire le bébé et de permettre à sa mère de vaquer à ses occupations, mais d’autoriser cette activité intégrative qui contribue également à faciliter son individuation. Dans cet espace, où il peut se mouvoir librement et être en contact avec des objets, il doit avoir la possibilité de trouver son rythme, de changer de type d’activité, d’objet d’intérêt et d’intensité d’investissement, d’aller jusqu’au bout de son action. Tout ceci doit se faire sans être l’objet de demandes ou de pressions venant d’une autre personne que l’enfant. Ce temps pendant lequel l’enfant est ainsi guidé par son propre intérêt et sans limitations de mouvements est utilisé pour élaborer son expérience relationnelle et ses émotions, résoudre les tensions rencontrées dans la vie quotidienne et les « questions » qui se posent à lui, faire des découvertes, apprendre et revenir à des acquisitions antérieures qu’il perfectionne.
14Est-il besoin de rappeler que cet espace de jeu ne peut être pleinement utilisé par le bébé que dans la mesure où, d’une part il bénéficie de l’intégrité de son système neuromoteur, et d’autre part, l’espace est aménagé pour assurer sa sécurité, espace et objets étant soigneusement et progressivement ajustés à ses possibilités naissantes. Enfin, cela n’est possible que si sa relation à sa mère, ou à la personne qui la remplace, est assurée et lui apporte tout le registre d’expériences liées à la vie relationnelle.
15En clinique, il s’avère utile, pour l’évaluation de la santé et des troubles précoces des bébés, que soient utilisées simultanément non seulement l’écoute des mères et l’observation des interactions bébé/mère, mais aussi l’observation de l’activité libre du bébé dans son milieu naturel de vie. De même, dans les traitements des troubles précoces des bébés, ces trois modes d’abord ont chacun leur utilité spécifique ; notamment, il semble que l’observation à petite distance du bébé éveillé, livré à lui-même, soit un mode d’abord thérapeutique intéressant auquel le bébé est sensible et qui valorise l’intérêt de la capacité du bébé à exister par lui-même.



Anna Tardos, psychologue, directrice de l’institut Pikler.Myriam Tardos, pédopsychiatre.
Ce texte est extrait d’un article éponyme illustré dans un DVD 
Jeu, action, pensée, tous deux disponibles au service de documentation de l’association Pikler Lóczy-France,www.pikler.frpikler.doc@wanadoo.fr.Retour

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